Un hautbois angélique commence sa plainte puis une chorale masculine aux timbres purs entame à l'unisson un chant un peu secret dont seuls quelques fragments ont traversé les âges : «Frères, je ne me sens pas étranger/ Où que j'aille je reconnais les miens/ Il traversa le Sahara et le Djérid/ Ainsi que le pays des Noirs/ Il erra ô père dans les lointains/ Et emprunta la libre et digne voie.» L'interprétation est troublante de ce chant d'une confrérie mystique de Tunisie alternant lenteur et accélération, murmurant et montant jusqu'au dôme d'une mosquée ou courant le long de la nef d'une cathédrale. On ne sait plus dans quelle religion on se trouve tant ce choeur musulman évoque un chant grégorien dégageant les mêmes étranges réverbérations vocales. Pourtant, cette évocation célèbre Sidi ben Aïssa, fondateur à partir du Maroc de l'ordre des Aïssawa au XVIIe siècle, la secte soufie la plus populaire du Maghreb. Le trouble se dissipe si on se rappelle les remarques du baron Rodolphe d'Erlanger, qui a longtemps étudié les mélodies tunisiennes, qu'elles soient hispano-arabes, arabo-berbères, juives ou nègres selon ses propres mots quand il écrivait il y a plus de soixante ans : «Les chants des confréries peuvent être considérés comme une survivance de la liturgie byzantine que l'islam n'a pas réussi à faire disparaître complètement des habitudes des populations converties.»
Du sacré au profane. Ce chant fait l'ouverture d'un double compact éclatant consacré à