Reine d'Aragon et de Castille, mère de Charles Quint, Juana la Loca (1) éprouvait pour son mari une passion à ce point dévorante qu'elle en perdit l'esprit, mais pas son trône. Comme quoi, pour régner, il n'est pas indispensable de savoir raison garder. Sara Baras, reine du flamenco, est tombée à ce point amoureuse de son modèle qu'elle en a perdu la raison d'être de sa danse. L'égarement qui l'atteint n'est pas propre à cette fille de Cadix, lauréate du prix Madroño Flamenco de Séville en 1993. Il touche une bonne part des spectacles de flamenco. Ni le talent ni la virtuosité de Baras ne sont en cause, pas plus que ceux de sa troupe.
Le dérèglement provient du type d'adaptation auquel, de plus en plus souvent, le flamenco est contraint de se plier pour satisfaire aux goûts d'un (trop ?) large public, peu averti. Pour répondre aux lois économiques du show-biz et donc pouvoir organiser des tournées à travers le monde, le ballet flamenco Sara Baras endosse les défroques d'une théâtralisation de pacotille. Le flamenco, il est vrai, est une expression aussi ringarde qu'indémodable. Comme la corrida. Imaginerait-on pour autant un picador troquant son cheval contre une trottinette ou un matador exécutant un entrechat à la place d'une naturelle ? Fondamentalement populaire, le flamenco ne gagne rien à s'embourgeoiser aux Champs-Elysées. Inutile pour cela de célébrer le culte de la tradition. Quand le flamenco évolue, il le fait d'autant mieux qu'il s'appuie sur ses propres impératif