Menu
Libération
Critique

«Médée», sangs mêlés

Article réservé aux abonnés
La pièce de Jahnn relit le mythe sous l'angle sensuel et racial.
publié le 24 mars 2001 à 0h10

Deux frères, des jeunes gens, se disputent l'amour du père. Il a offert à l'aîné une jument blanche, il l'a aussi initié au monde adulte en couchant avec lui. Dès la première scène du Médée de Hans Henny Jahnn, le choc est énorme. D'abord parce que dans la plupart des versions de la pièce depuis Euripide, les fils de Médée et de Jason n'ont guère d'existence propre, hors leur statut de victimes innocentes sacrifiées par la mère. Les voilà qui prennent corps: non pas des enfants mais des adolescents, débordant de vie et de désirs. Ensuite, parce que la sexualité apparaît comme une donnée fondamentale: entre père et fils, entre frères, entre Jason et Médée, l'amour existe toujours dans sa dimension physique. Enfin, à cause de l'importance donnée à la question raciale: «A-t-on cessé/de t'appeler, comme moi, fils de barbare,/parce que nos corps ont une coloration/sombre, non grecque?» s'exclame le fils cadet. Enfants métis d'une mère noire, ils sont à Corinthe des barbares et des bâtards, des parias.

Au Terrier, la petite salle en sous-sol du TGP de Saint-Denis où la pièce est donnée, on est, dès les premières minutes, soufflé par la richesse et la poésie d'une langue jusque-là inconnue (1). Et d'autant plus que la mise en scène ne déploie pas des trésors de séduction. Il n'y a pas de décors, pas de costumes, et les deux jeunes comédiens qui interprètent les frères ne sont pas des plus expérimentés. Pourtant, dans leur bouche, tous les mots de Jahnn résonnent, comme si tout devai