Le plateau est une cour de ferme, où il ne fait pas beau. Les personnages qui sont assignés à résidence au fin fond de cette cambrousse semblent tout droit sortis d'un tableau de Bruegel l'Ancien. C'est la «Terre» de Sasha Waltz, avec sa peuplade de mutilés, d'idiots, de femmes violées, de vieilles teignes. Na Zemlje, composée en 1998, est la seule pièce que la chorégraphe a consacrée à un microcosme villageois. Conçue dans l'ancienne maison de campagne ruinée de Stanislavski près de Moscou, avec des acteurs de l'école d'art dramatique d'Anatoli Vassilev et les danseurs de sa compagnie, la pièce met en scène autant la communauté imaginaire que la troupe elle-même.
La chorégraphe ne s'est pas arrêtée sur un mode de traitement unique. On passe du naturalisme surréaliste au grotesque sans que cela pose problème; comme on se moque de savoir si c'est de la danse ou du théâtre, les deux disciplines étant confondues dans une même implication physique. Elles servent un propos non pas noir, mais féroce, qui dit une Russie engluée dans le souvenir d'une ruralité crottée, aujourd'hui dévastée.
De multiples actions isolées soulignent des détails, figent une image. La circulation incessante des bâtons pour les supplices ou pour les bêtes, les bottes de paille pour le camouflage: tout est incroyablement organisé à l'économie dans cette société silencieuse. Tout y va de guingois, ordinairement, sans drame. Le spectacle, lui, est impeccablement réglé. Les partis pris sont clairs et lisibles: