En l'espace de quel ques mois, à l'automne 1513, Niccolo Machiavelli rédigea le Prince, pour dire «tout ce qu'il a connu et compris». Il se sentait encore abasourdi d'avoir été arrêté, condamné, torturé, emprisonné puis ô surprise amnistié grâce à un Médicis devenu pape, tandis qu'à Florence la même famille revenue au pouvoir l'avait banni de ses fonctions. Chaque jour de cet exil à la campagne, Machiavel lisait Dante: raison supplémentaire de se féliciter ici que Jacqueline Risset, auteure de la récente et splendide transcription en français de la Divine Comédie, soit l'orfèvre de cette nouvelle traduction du Prince.
Confiée à un quintette d'acteurs, elle l'a presque pensée pour eux, leurs voix et leurs corps, chargés par le metteur en scène, Anne Torrès, de faire entendre et vibrer et sonner les rythmes, les couleurs, les syncopes et apocopes. De faire sentir tour à tour la farouche liberté avec laquelle la réflexion de Machiavel sinue. Par accumulation de «et», de phrases gigognes, puis de soudaines interruptions, ou passages éclairs au tutoiement du lecteur, les acteurs suivent les méandres pour dévaler bientôt par spirales accélérées, puis arrêts sur images et retours de sons comme diffractés.
La représentation de cette non-pièce de théâtre tient à la capacité des protagonistes (quasiment abstraits, comme en un oratorio) à rendre la folle vitalité de la langue, l'hallucinante actualité de l'oeuvre, ce prétendu brûlot écrit non plus en latin mais accessible au vulgaire