Après l'intempestif et presque comique Moloch, qui portraiturait Hitler sous l'angle de ses amours avec Eva Braun, Alexandre Sokourov revient à Cannes avec Taurus, qui s'attache à peindre le camarade Lénine au soir de sa vie. Le résultat n'en est pas moins extravagant, voire extraterrestre: c'est une oraison à charge, le passage à tabac d'un quasi cadavre, un chant d'adieu où la compassion s'exprime sous la forme de puissants coups de pied au cul de l'idole.
Rien ne va mieux au cinéma de Sokourov que le crépuscule. Avec ce nouveau modèle qu'il s'est choisi, il est comblé: vieux débris malade et fou à l'agonie, le sénile Lénine qu'il met en scène (et qu'incarne l'ahurissant Léonid Mozgovoi, déjà remarquable en Fürher dans Moloch) n'a plus aucun pouvoir sauf celui de terroriser le petit monde d'obligés qui l'entourent et dont ses soeurs timbrées sont les cerbères. Reclus dans une villégiature tchékhovienne, coupé d'un monde dont il ne reçoit plus ni courrier ni coups de téléphone, Lénine est un fantôme hagard perdu dans un brouillard pré-mortem et qu'assaillent de violentes crises de fureur. Pathétique, il radote, éructe et se plaint, regrettant notamment de ne pas avoir eu d'enfant pour pouvoir «les frapper, les battre comme plâtre».
Drôle et morbide. Une visite impromptue de l'impatient Staline, qu'accompagnent les roulements sourds d'un tonnerre lointain, donne à Sokourov l'occasion d'un face-à-face assez grandiose, tout en grognements, halètements et gémissements. C'est bel