C'était dans Jacques Rivette, le veilleur, film que Claire Denis réalisa avec la complicité de Serge Daney, en 1990, pour la collection «Cinéma, de notre temps»: sur les ruines d'une forêt vierge encaissée quelque part dans Paris, Rivette évoque le premier article qu'il ait jamais publié. C'était en 1950, dans le Bulletin du ciné-club du quartier Latin, trois ans avant qu'il devienne la plume la plus acérée des Cahiers (le «Saint-Just de la critique», une guillotine à lui seul), huit ans avant qu'il tourne son premier long métrage, bombe nouvelle vague à retardement, Paris nous appartient (immédiatement sous-titré «Paris n'appartient à personne»). Cet article originel s'intitulait, écho d'un sentiment profond: «Nous ne sommes plus innocents». Et aussitôt, devant la caméra, l'auteur du Pont du Nord, de la Bande des quatre, de Céline et Julie vont en bateau, de l'Amour fou, de Duelle et de Va savoir! (sortie cet automne), raccorde ce titre éperdu à la phrase de Kleist: «Pour retrouver l'innocence, il faut faire le grand détour par le savoir.»
Lunaire et solaire. Est-ce parce que chacun des dix-sept films qui composent sa filmographie garde en lui un mystérieux et vénéneux parfum d'innocence, ailleurs tombé en désuétude, qu'il n'y a jamais eu dans l'édition française de livre sur Jacques Rivette? Il existait jusqu'alors deux ouvrages collectifs, l'un publié en Italie il y a dix ans et un autre, plus boiteux, publié il y a peu aux Etudes cinématographiques. La danse rivettienne,