Arc-et-Senans (Doubs) envoyée spéciale
On débarque ici comme dans un autre monde. D'abord franchir l'enceinte, qui ne laisse rien entrevoir du trésor qu'elle renferme. Puis oser s'engager sur la vaste esplanade de la saline royale d'Arc-et-Senans, en forme de rigoureux demi-cercle, une «forme pure comme celle que décrit le soleil dans sa course», écrira son architecte. Face à soi se dresse une imposante bâtisse, gardée par une colonnade insolite. Temple? Maison de maître? Lieu de pouvoir, en tout cas. Des bâtiments longs et bas se déploient dans une symétrie parfaite. Partout, des urnes inclinées déversant de la saumure sculptée dans la pierre rappellent qu'ici, jadis, des centaines d'hommes travaillaient à une cause commune, l'exploitation du sel.
Maintenant, l'oeil s'habitue à la géométrie du lieu. Alors le visiteur peut se risquer à l'exploration de ce monde où le réel cohabite avec l'imaginaire, la proportion avec la démesure, le réalisme avec l'utopie.
Témoin des Lumières. La saline royale fut à la fois une usine dans une société pas encore industrielle, un familistère, un hommage à l'ordre social établi, un témoin sincère du siècle des Lumières, une cité idéale inachevée.
1771. Claude Nicolas Ledoux, 35 ans, qui a des relations, vient d'être nommé commissaire des salines de Franche-Comté, de Lorraine et des Trois-Evêchés. La responsabilité n'est pas mince: l'exploitation du sel alimente les produits de la gabelle, l'impôt le plus impopulaire de l'Ancien Régime. Notre homme