Jean Carmet aimait tellement la Loire qu'il a fini par lui ressembler. «Je suis peut-être un petit fleuve, avec des divagations et des bancs de sable, comme la Loire», écrit-t-il dans Ce semblant de journal, carnet de notes qui vient de paraître et qui fait suite à Je suis un badaud de moi-même, deux livres qui se répondent par la bande, puisque cet acteur était un «noteur». La Loire est le plus long fleuve de France, et Carmet, mort en 1994, était un acteur français au long cours: «Je suis de l'époque où les salles de bain n'existaient pas.» Carmet fut longtemps un grand acteur du cinéma muet égaré dans le parlant: on le voit passer dans une foultitude de films, sans rien dire, mais ses silences, comme dit l'autre, sont éloquents. Jamais cet enfant de Bourgueil (l'un des grands petits vins de Loire) ne s'impose dans le plan, il est l'homme qui passe, le gars qui balaie dans les coins.
Filiation. La Loire, écrit Henri Calet, est «le fleuve le plus nonchalant» (1). Jean Carmet aussi. Calet et Carmet étaient faits pour rimer, la vie en a décidé autrement, ils avaient le même sens de l'observation des humbles. Allant du côté de Chinon, l'un et l'autre ne peuvent pas faire autrement que d'aller «voir encore» la Devinière, maison natale de Rabelais. Ce que Carmet aime par-dessus tout, c'est «le tuffeau», cette pierre dont est faite la maison: «Le tuffeau est une pierre magique, source d'émotions, extraite des carrières de Touraine, qui se régénère elle-même, une pierre extrêmement