Lussas (Ardèche)
envoyée spéciale
Une quinzaine d'étudiants noirs dans une salle anonyme, en 1970, encore engoncés dans la respectabilité du costume cravate... Un peu intimidés face à la caméra, ils fixent l'interviewer qui les interroge, en position magistrale. L'homme qui leur fait face s'appelle Pier Paolo Pasolini. Il prépare un film, une adaptation africaine de l'Orestie d'Eschyle, et fait de cette préparation la matière même d'un film documentaire. Il demande aux étudiants, sur un ton d'aimable condescendance, si l'Orestie leur semble s'appliquer à l'Afrique (il est clair que lui n'en doute pas) et s'ils pensent qu'il lui vaut mieux situer son film «dans l'Afrique des années 60 ou alors plutôt dans celle des années 70». Répondez en trente secondes...
Asphyxie. Ce n'est pas le grand oral de l'ENA, c'est un micro-trottoir minable. La gêne de la petite assemblée fait mal. Premier à être pris à partie par le maestro, un étudiant, très di gne, observe doucement que «l'Afrique n'est pas une nation mais un continent». «C'est vrai. Mais alors: années 60 ou 70?» «Je ne connais pas l'Afrique.» Pasolini: «Revenons au film.» A tout prendre, il est mieux à son affaire avec un second interlocuteur, bien installé, lui, dans la pratique des dialogues fermés, qui lui rétorque sans hésitation par un beau jet de langue de bois préfabriqué sur les exactions de la colonisation. Et au suivant! De toute façon, le cinéaste se contrefiche de l'opinion de ses interlocuteurs. Quel sens donner, dans