Le titre a valeur de programme: au moment même où il semblait manquer d'oxygène (Alice et Martin, film malade, échec public sévère), le cinéma d'André Téchiné largue les amarres et va voir ailleurs si l'air est plus vif. Tourné au Maroc dans plusieurs langues (français, espagnol, arabe, anglais), Loin a des allures d'échappée belle. Mais, aussi loin qu'on va, on ne rencontre jamais que soi-même. En partant loin, Téchiné reste donc aussi au plus près de lui-même et rassemble beaucoup de ses obsessions. Sauf que ce petit théâtre intime, tout à coup surexposé à la lumière blanche du Maroc et bousculé par des conditions de tournage sportives (utilisation d'une caméra vidéo haute définition, scènes de rue avec des dizaines de figurants), prend des teintes inédites, trouve une force de jaillissement nouvelle.
Ce jeu de Yo-Yo entre l'ici et l'ailleurs, tous les personnages principaux de Loin s'y trouvent soumis. Mais tous ne sont pas égaux face à la liberté de circuler. Sarah (Lubna Azabal) est une jeune fille juive qui vend l'hôtel familial dont elle s'occupe pour rejoindre son frère au Canada. Autour d'elle se déploie un petit monde charmant: James (Jack Taylor), un vieil Anglais homosexuel, qui s'est ruiné au Maroc, François (Gael Morel), un jeune cinéaste qui prépare un film, Emily (Yasmina Reza), la belle-soeur de Sarah, déjà installée au Canada... Tous constituent le séduisant phalanstère de la bourgeoisie cultivée globale, mondialisée, qui peut librement se poser la question