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Libération
Critique

Rohmer royal.

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«L'Anglaise et le duc» associe un tour de force technique à une affirmation politique radicale.
publié le 7 septembre 2001 à 0h44

D'abord une scène, parmi les plus ahurissantes de beauté que le cinéma nous ait donnée. Deux femmes, une aristocrate et sa servante, depuis une terrasse de Meudon, contemplent un Paris de grisaille. Ce paysage, le film ne s'en cache pas, est un tableau «vidéonumériquement» incrusté au plan. La domestique porte à son oeil une lunette. Elle décrit la montée de Louis XVI à l'échafaud. Elle voit du bleu, du rouge. L'Anglaise tourne la tête, la mort du roi lui est irregardable. Une clameur vient trouer la toile. Elle imagine que le peuple s'est refusé à cette mort, qu'il s'est révolté, l'a empêchée. Trois coups de canon tonnent. Elle s'effondre. L'Anglaise et le duc est le film d'un homme solitaire, comme retiré du monde.

Leçon de fidélité. C'est aussi un film à part dans la filmographie d'Eric Rohmer, différent des deux opus en costumes qu'il a pu précédemment signer (la Marquise d'O, 1976, Perceval, 1978). Cette différence n'est pas due au sujet historique du film, adaptation des mémoires de Grace Elliott, anglaise royaliste liée au duc d'Orléans, devenue le témoin d'un monde qui s'effondre (la monarchie, ses privilèges) durant la Terreur qui, en l'an II, acheva la révolution de 1789. On peut même dire que, par sa solitude, Grace Elliott rejoint la cohorte des personnages rohmériens, dandys et nombrilistes. Cette différence ne tient pas davantage à l'utilisation (extraordinaire) de la vidéo numérique, qui ne surprendra que ceux qui voient en Rohmer le parangon du réalisme, alors