La chose est délicate à formuler mais pourtant vraie: le premier Festival international du film de Marrakech a puisé dans la brûlante actualité une gravité et une légitimité qui ne lui étaient pas garanties. Parce qu'elle s'est tenue, malgré toutes les craintes et les défections américaines (1), aux dates prévues, soit deux semaines après les attentats, la manifestation est fatalement, et heureusement, devenue un forum ouvert sur le monde tel qu'il est, avec son Nord et son Sud, ses musulmans, ses juifs et ses catholiques, avec ses cinéphiles agnostiques, athées et de toutes confessions qui, tous, pour l'essentiel, ne parlaient que de ça.
Cet état de fait a non seulement levé certaines ambiguïtés mondaines mais surtout donné un sens au festival, dont les tables rondes, aussi fréquentées qu'étaient bondées les salles de projection, ont permis une catharsis salutaire. Pur bloc d'humanité lucide mais joyeuse, Youssef Chahine, qui présentait à Marrakech son dernier film, le très adéquat Silence, on tourne, a donné le la de cet état d'esprit: «La façon dont chacun prie m'est indifférente. C'est l'attirance, le dialogue, éventuellement la sensualité qui m'intéressent, et ce que je peux partager avec chacun. Dans ma vie, j'ai eu la chance de coucher avec des personnes chrétiennes ou juives et j'ai parfois trouvé ça très agréable», s'est-il permis de lancer en conférence de presse, rappelant l'insolente liberté de ton que le cinéaste arabe s'est toujours octroyée, quelles que fussent