Qui est ce molosse moustachu dont l'oeil triste fixe l'objectif malgré un léger strabisme? Prise au studio Harcourt, cette photo illustrant la nouvelle Intégrale Brassens (lire encadré page suivante) donne un regard inédit sur l'homme tel qu'il se présentait à Paris dans l'après-guerre. Un type déjà d'une autre époque, avec son accoutrement bohème cheveux mi-longs, espadrilles et costumes élimés. C'est ainsi que son fidèle secrétaire le voyait rue Taitbout, devant le centre des impôts, où Pierre Onténiente officiait comme fonctionnaire. «Mon patron s'interrogeait sur cet énergumène. Surpris que ce fut un ami, il m'avait demandé ce qu'il faisait dans la vie. "C'est un poète, lui avais-je répondu, il travaille pour la postérité."»
Son «rien faire». Bien qu'il ait toujours été détaché des questions matérielles, la précarité dans laquelle vivait alors Brassens l'obligeait à faire la tournée des copains à l'heure du déjeuner. Dans la maison dont il hérita impasse Florimont, Pierre Onténiente se souvient de sa première rencontre au STO avec celui qui bouleversa son existence: «C'était pendant la guerre à Basdorf, dans un camp près de Berlin où BMW avait ses usines. Nous étions voisins d'atelier mais c'est à la bibliothèque que j'ai retenu son nom. Responsable des emprunts, j'avais été étonné de ce Brassens qui emportait chaque jour trois ou quatre livres... Mes compagnons et moi étions impressionnés par ce gars baraqué qui avait un langage très évolué pour exprimer ses idées. A 2