Philippe Clévenot est mort. Il avait 59 ans. On le savait malade, mais comme à chaque fois, on se racontait une histoire, car pour ceux qui avaient grandi dans le théâtre des années post-68, il avait été l'acteur héraut, le veilleur insomniaque. Pour ses partenaires, mieux qu'un modèle il fut un frère, pour nous plus qu'un «acteur formidable», un être aimé. Alors, à chacune de ses disparitions, on se disait qu'il était parti en voyage, à pied au Mexique sur les traces d'Artaud, en Italie sur les traces des écrits d'une mystique, on l'attendait au café du coin. On savait qu'il reviendrait en scène avec ses grands bras d'albatros, sa longue écharpe de philosophe, ses chemises joliment élimées, les poches de sa veste lestées d'un livre lu et relu, balayant le panorama de son demi-sourire tristement lucide, laissant poindre une douceur d'être que son corps convertissait immédiatement en souplesse, et puis, magique, frissonnante, sa voix rétive à tout pathos, à toute hystérie, cassant toute musique pour mieux en exacerber le coeur blessé.
A tâtons. C'était un grand, le contraire d'une star, on ne le voyait jamais en promo s'affaler dans les salons de la télévision. Quand il ne jouait pas, il préférait passer ses nuits face à la mer dans sa petite bicoque de Villerville, en Normandie, qu'il partageait avec sa compagne, l'actrice Bérangère Bonvoisin. Il aimait aussi le baume des rades en solitaire.
Le grand public ignora par trop ce dégingandé magnifique. Le cinéma l'approcha parfois