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Libération
Critique

La fable et le fabuleux pouvoir du sensible

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Le théoricien Jacques Rancière décrypte le cinéma, «art mixte».
publié le 19 octobre 2001 à 1h18

Pour bien aimer la Fable cinématographique, il faut l'opérer par petites touches, sauter tout ce qu'on ne digère pas, bien qu'on le rumine, exagérer au contraire tout ce qui nous convient et nous exhausse, bref en découdre et faire du beau livre de Jacques Rancière, un usage pour son compte: une fable singulière.

Art mixte. Si on peut observer l'ingéniosité de ses rouages démonstratifs, on peut aussi noter que cette horlogerie conceptuelle est un drôle de coucou qui, comme l'oiseau, fait ses oeufs dans le nid des autres (Epstein, Bazin, Godard, Deleuze etc.). C'est la thèse nodale de Rancière: que l'on soit réalisateur, critique, spectateur ou en l'espèce théoricien délicat, le cinéma comme art et comme idée de l'art consiste à faire une fable avec une autre fable, à faire un film sur le corps d'un autre. Un art des prélèvements. Autrement dit par Rancière: le cinéma est un art précisément en tant qu'il est mixte entre deux logiques, celle du récit qui commande les épisodes et celle de l'image qui arrête et réengendre le récit. Vieille affaire dirait-on, dont Rancière rappelle qu'elle date même d'avant-hier. Et particulièrement de ce moment (le XIXe siècle) où s'est tétanisé un bras de fer entre les tenants musclés d'un art pour l'art (la splendeur de l'insignifiant, chimère chère à Flaubert) et les défenseurs anémiés d'un art représentatif attaché au récit, le vieil art des histoires.

Sur cette querelle, on peut jeter un oeil nostalgique (c'était mieux autrefois) ou condescen