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Libération
Critique

Le cinéma au premier plan philosophique

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Un livre et un cycle de projections au Louvre réactualisent les liens entre images et concepts.
publié le 19 octobre 2001 à 1h18
(mis à jour le 19 octobre 2001 à 1h18)

Ce n'est pas seulement la différence d'âge qui explique que philosophie et cinéma aient eu tant de difficultés à se marier. La vieille dame grecque avait d'autres soucis ­ du genre: «pourquoi y a-t-il de l'être plutôt que rien?» ­ et elle n'eût jamais pensé devoir s'intéresser à ce Cinématographe tremblotant qui, comme ses frères hurluberlus, Kinétoscope, Vitascope, Praxinoscope et Animatographe, voulait faire croire que les images s'animaient toutes seules, et dont Louis Lumière lui-même disait qu'il était «sans avenir». Elle s'était d'ailleurs toujours méfiée des copies du réel et des illusions. Aristote dit certes dans la Poétique (4, 1448b, 10-15) que «nous prenons plaisir à contempler les images les plus précises des choses dont la vue nous est pénible dans la réalité, comme les formes des monstres les plus répugnants et les cadavres». Mais son maître Platon avait frappé l'image d'un tel anathème ­ la réalité sensible étant déjà trompeuse, alors imaginez ce que doit être son imitation ou sa reproduction! ­ que, dans la tradition philosophique elle sera toujours dépréciée, source d'effroi parfois, spectre ou fantôme, source de fourvoiement toujours, ombre, faux-semblant, mirage, simulacre, idole.

Elle avait cependant la peau dure, l'image. Résistant à l'ostracisme théorique, s'armant, se recouvrant de sels d'argent, s'alliant à la couleur, au son, au mouvement, au temps, elle finira par triompher (1), allant jusqu'à jouer le tour pendable, en se numérisant, d'exister sans