Ceux qui tiennent l'écriture philosophique pour du chinois en seront pour leur frais: l'Evidence du film, l'ouvrage consacré par Jean-Luc Nancy à Abbas Kiarostami, paraît dans une étonnante édition trilingue: un premier cahier français/anglais scindé par une traduction en persan qui confère à l'objet son allure de bel ovni, à la fois un peu snob quoique répondant enfin à une critique se plaignant de ce que l'on peut écrire sur le cinéma iranien ne s'adresse qu'à nous-mêmes Occidentaux. L'Evidence est de fait un texte complètement ouvert sur l'autre. Dans la forme comme dans le fond.
Jean-Luc Nancy, que l'on savait cinéphile, mais dont la production a longtemps moins travaillé le cinéma que ses autres muses (la peinture, l'urbanisme...), répond en 1995 à une commande des Cahiers du cinéma en écrivant sur Et la vie continue. Le texte sera finalement publié dans la revue Cinémathèque. Puis, pour France Culture, il accepte de rencontrer Kiarostami. L'entretien (que ce livre rapporte) est absolument sublime pour qui aime les échanges, l'intelligence vive, et les surprises. La surprise en question est d'entendre Kiarostami avouer à Nancy que les sourates 98 et 99 du Coran portant sur les tremblements de terre, sourates que le philosophe avait mises en exergue de son étude, lui, l'Iranien qui les connaissait autrefois avait fini par les enfouir dans son inconscient.
Du temps passe et le philosophe accepte d'écrire un livre sur le cinéaste. Il s'oblige à ne pas relire son premier text