Traité avec un certain dédain lors du dernier Festival de Cannes, en raison de sa double impureté (une commande institutionnelle, un documentaire en prise sur l'actualité), ABC Africa n'a pourtant rien d'un film mineur tourné à la va-vite par un Kiarostami de renommée internationale débordé entre ses nombreux voyages à travers le monde, ses photographies, ses oeuvres d'art vidéo (tel Sleepers présenté à la Biennale de Venise). On le tient même pour l'opus le plus saisissant de son auteur depuis le Goût de la cerise, un film qui secoue non seulement tous ses paramètres esthétiques, mais jette le spectateur au beau milieu d'un tournis moral sans équivalent, une ivresse de douleur et de jubilation à perdre pied, un maelstrom dionysiaque tendu vers une assomption païenne.
Vibrionnant. Comment? entend-on déjà ici renâcler, mais ne nous avait-on pas dit que le film s'immergeait dans un Ouganda dévasté par le sida et que c'est sur la demande de l'Ifad (Fonds international de développement agricole), organisme dépendant des Nations unies, que le cinéaste iranien a débarqué sur le continent africain avec pour mission de rendre compte d'une catastrophe humanitaire et des moyens locaux mis en oeuvre pour en contrecarrer les effets? Certes, mais il ne fallait pas compter sur Kiarostami pour se livrer à une pieuse inspection des lieux avec tout ce que le sujet emporte avec lui de pathétique chrétien, bras levés vers le ciel de madones noires éplorées, enfants martyrs, beauté évanouissante