Interrogé un jour sur son goût pour des disques du début des années 60, produits notamment par Phil Spector, le musicien Brian Eno évoquait cette tendance esthétique majeure où une voix ténue est littéralement enfoncée dans une masse orchestrale démesurée, pleine d'échos et d'arrière-plans successifs, telle, disait-il, une petite abeille égarée à l'intérieur d'une gigantesque image sonore. Face à Millennium Mambo, on a le sentiment que la voix des personnages, ou du récit, ressemble à cette petite abeille qui se verrait offrir, pour sa survie ou sa perte, un écrin traversé en tous sens de fracas technoïdes et saturé de couleurs, habitacle forclos dans lequel elle chercherait désespérément sa trajectoire vers une issue incertaine. Si la vague techno dans ses expériences les plus marquantes a privilégié, contre la suprématie de la mélodie, le travail sur les textures du son, les séquences rythmiques, la volumétrie des boucles synthétiques au sein d'un espace mental impossible à localiser, Hou Hsiao-hsien opère dans le registre du cinéma une mutation équivalente.
Modernité. Le scénario (si tant est qu'il y en ait vraiment jamais eu un!) est subordonné à un voyage perceptif où se mêle expérience hypnotique, chill out visuel, superposition de nappes chromatiques chatoyantes et de grands à-plats électroniques, variations ondulatoires des plans entre l'atonie et l'explosion, le cinéaste taïwanais accomplissant pour nous une sorte d'absolu de la modernité, quelque chose comme les noc