Menu
Libération
Critique

L'abcès «Ciénaga».

Article réservé aux abonnés
publié le 9 janvier 2002 à 21h37

Dans l'étuve d'un été argentin, mélange poisseux de soleil torride et de pluies tropicales, des spécimens vivants ­ hommes, femmes, enfants, animaux de toutes sortes ­ gesticulent sous la loupe de la caméra. Souffrent-ils du coup de bambou prolongé en stupeur alcoolique? En jouissent-ils dans le secret de leurs intestins détraqués, sous le poil ou les écailles chauffés à blanc, dans les spires de leurs cerveaux baignés de névroses?

Biotope. Ils bougent d'un centimètre, jacassent désagréablement, mangent dans les auges que leur tendent des domestiques impavides, s'enfoncent dans le sommeil au fond du trou, glissant silencieusement hors de cette fosse d'aisance de la reptation existentielle qu'est l'état de veille mais pour basculer dans une autre poche plus sombre, sans doute plus visqueuse et mortelle encore. C'est la Ciénaga, le Marécage fondamental, un biotope boueux transmué en fiction ahurie.

Le premier film de Lucrecia Martel est quelque chose d'un peu stupéfiant, un tableau pas très reluisant de la petite-bourgeoisie provinciale barbotant lamentablement dans ses échecs, tournant en rond et en bourrique dans la cage d'un pays soudain pour eux sans avenir. Les événements récents qui ont mis les rues de Buenos Aires à feu et à sang sont, selon la jeune cinéaste, la conséquence plutôt positive quoique incomplète d'une prise de conscience d'un échec collectif et d'une aliénation devenue intolérable. Dans le film, personne ne cherche pour l'heure à s'insurger, les issues sont