Sylvie Lindeperg est historienne du cinéma, enseignante à Paris-III, spécialiste du cinéma français de l’Occupation (les Ecrans de l’ombre, 1997) et à la Libération (Clio de 5 à 7, 2000). Elle décrypte ici les réécritures de l’histoire dans Laissez-passer, film qui fait du cinéma sous l’Occupation une sorte d’âge d’or.
Un récit piège
«Le film de Tavernier veut s'imposer sur le mode du vrai: de vrais noms, une reconstitution minutieuse, des détails authentiques, même son slogan: «Il n'y a rien de plus beau que les histoires vraies.» Mais ce récit est un piège: le défi du vrai est lancé alors qu'il est, de fait, impossible à relever. Qui sont les résistants, qui sont les collaborateurs? Même sur les témoignages de Devaivre et d'Aurenche, il existe des doutes... Les Mémoires de Devaivre, on ne les a pas encore lues... Et tous ces gens qu'il évoque n'ont jamais parlé de lui comme d'un résistant. Même Jean-Paul Le Chanois, cinéaste communiste, entré sur ordre de son parti à la Continental, société de production de films à capitaux allemands travaillant avec les Français, ne parle jamais de lui dans ses souvenirs, alors que Devaivre se dit son ami. Le témoignage d'Aurenche est aussi sujet à caution, du moins à vérification sérieuse. On ne sait que ce que Tavernier en rapporte, par transmission orale. Si le film était clairement une fiction, l'historien n'aurait plus qu'à jouer un rôle d'antiquaire: ce meuble est vraisemblable, ce costume aussi, cette réplique ne l'est pas... Mais la surenchère à