«Que vos chevaux, par vous au petit pas réduits,/ Pour satisfaire aux voeux de son âme amoureuse,/ D'une nuit si délicieuse/ Fassent la plus longue des nuits.» La demande vient de Mercure, désireux de prolonger la félicité de son maître, Jupiter, dieu parvenu dans les bras de l'humaine Alcmène sous l'apparence d'Amphitryon, cet époux qui demain reviendra de guerre. La mécanique de la quadruple identité s'enclenche dès le prologue: Mercure, le serviteur divin, annonce qu'il va troquer sa forme pour celle du valet d'Amphitryon, soit Sosie. Une paire de dieux, une paire d'hommes. A tour de rôle, ces «interversés» s'interpellent: «C'est toi. Non, c'est moi. Si tu es moi, qui suis-je?»
Pulsation. En tout cas, elle est d'Anatoli Vassiliev et de nul autre, la mise en scène de cette si métaphysique pièce de Molière: recréation excitante pour l'esprit, l'oreille, le regard; déconstruction où tout semble se dé-router, décortiquer, pour se recentrer ou excentrer. Les rôles, les mouvements les timbres, les rythmes, les pleins, les vides, convergent en un même diagramme ultrasensible, pulsation enregistrée selon quelques mystérieuses abscisses et ordonnées.
Mais voilà qu'avant de laisser place au vrai Sosie on est encore à l'orée du voyage , Mercure (Jérôme Pouly) actionne le nuage d'où il est censé descendre: un vaste rectangle de soie bleu ciel qu'il brandit et fait vivre jusqu'à frôler les têtes des premiers rangs. Ici, la Nuit (Eric Génovèse) n'a rien d'une apparition nocturne: