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Libération
Critique

Koltès, retour d'Amérique

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publié le 7 mars 2002 à 22h30

Soit deux ingénieurs, quelque part ailleurs. «Un lieu du monde», écrit Bernard-Marie Koltès. Un morceau de cette Afrique qu'il a connue, aimée, fantasmée. «Imaginez, en pleine brousse, une petite cité de cinq, six maisons entourées de barbelés, avec des miradors. Et, à l'intérieur, une dizaine de Blancs qui vivent, plus ou moins terrorisés par l'extérieur, avec des gardiens noirs, armés, tout autour [...] Pour ne pas s'endormir, ils s'appelaient avec des bruits qu'ils faisaient avec la gorge.»

Donc, deux Blancs. Vêtu d'un smoking avachi, Horn le chef attend la femme qu'il a fait venir de Paris dans l'espoir de se sentir vivre encore un peu. Il a tout bien préparé pour la recevoir: table, nappe blanche, chandelier et bougies. La femme réfugiée dans l'ombre lui parle, il répond sans la rejoindre. Il attend, c'est tout. Cal, l'autre, plus jeune, n'attend rien, sinon son chien qu'il a perdu et appelle. Deux hommes, une femme, terrés sur ce no man's land que la nuit menace d'engloutir, et qu'un rideau translucide sépare du reste du monde. De la salle sombre d'où gronde une voix de colère, celle d'un Noir venu réclamer le corps de son frère, tué par inadvertance.

Signes sanglants. Fantomatique et charnel, ce troisième homme, Alboury, déstabilise la complicité envieuse qui lie Horn et Cal, leurs habitudes, les certitudes grâce auxquelles ils parviennent à survivre. Il est leur reflet vivant, leur double contraire, l'image du corps manquant. Il est ce qui manque. Jeunesse, virilité, c