En janvier 1999, le piano-bar du Teatro Nacional accueillait un événement qui n'avait pas déplacé la foule. Elena Burke revenait chanter à Cuba, après un long séjour au Mexique, qui avait suscité toutes sortes de rumeurs : maladie, hospitalisation... La nouvelle de sa mort avait même circulé. Mais «la Burke» était bien là. A côté du piano, dramatiquement amaigrie mais sur ses jambes, comme dans la chanson Aquí de Pie (ici, debout), qu'elle se faisait, bien sûr, un devoir d'interpréter. Le public était composé d'amis et de fidèles, émus parfois aux larmes par ce qui s'offrait à leurs yeux et à leurs oreilles : le crépuscule d'une des plus grandes chanteuses cubaines.
L'effervescence du «filin». Née à La Havane, Romana Burguès (le pseudonyme américanisé viendra plus tard) débute au début des années 40 sur les ondes de Radio 1010, station d'obédience communiste réputée pour ses programmes musicaux. Grâce à sa belle voix de contralto (la tessiture la plus grave pour une femme), elle fait ses premières armes dans les cabarets et se mêle à l'effervescence du filin (déformation de l'anglais feeling) naissant, cette façon de chanter proche de l'esprit des crooners américains et des divas du jazz. Amie des soeurs Portuondo, Haydee et Omara, elle forme avec elles et une quatrième complice, Moraima Secada, un quatuor vocal inspiré des Andrew Sisters. Dès son apparition en 1952, le Cuarteto Las D'Aida (du nom de leur marraine, la pianiste Aida Diestro) s'impose par son swing et son punch