Trois, voire quatre représentations par jour, jusqu'à la fin du festival : le spectacle que met en scène le Québécois Denis Marleau a beau être relativement bref (cinquante minutes), il tient de l'exploit pour une équipe artistique normalement constituée. Les Aveugles, une des premières pièces de Maeterlinck, se situent au coeur d'une forêt où douze aveugles, pensionnaires d'un hospice, viennent d'être abandonnés. Ce n'est pas une fable réaliste, plutôt un chant d'angoisse dans les limbes, un voyage au pays des morts qui, plus de cent ans après, n'a rien perdu de son étrange tristesse.
Pénombre. Il existe bien des façons de mettre en scène les Aveugles, l'une consistant à plonger acteurs et spectateurs dans une totale obscurité. Dans la chapelle du lycée Saint-Joseph, Denis Marleau a opté pour une pénombre où seuls les visages des comédiens, fardés de blanc, de rouge et de noir, sont éclairés. Parfaitement immobiles, ces têtes plantées dans la nuit ne vivent que par les mots qui sortent de leur bouche. Les voix sont belles, profondes. A la fois calmes et inquiètes, elles entraînent au coeur d'une angoisse peuplée de rumeurs, de bruits hostiles, de présences mystérieuses, de l'insupportable murmure de trois vieilles en train de prier ; elles sont en résonance avec la douceur morbide de Maeterlinck.
Juste avant la fin, alors que la tempête approche, un éclair illumine le plateau et révèle des têtes privées de corps. On croit avoir mal vu. Le silence se fait. La salle s'éclaire,