Du haut de la tribune, Hitler contemple ses troupes en bon ordre sur l'esplanade de Nuremberg. La parade du parti nazi, en 1934, se déroule selon les plans prévus avec Albert Speer, mise en scène réglée pour impressionner le monde. Au pied de la tribune, une équipe de cinéma s'active, contre-plongées vertigineuses, travellings sophistiqués, multiplication des angles et des prises. La caméra virevolte, jamais on n'avait aussi bien filmé la politique, la transformant en pure esthétique de formes et de forces. Le film est une commande d'Adolf Hitler, il s'intitulera le Triomphe de la volonté, des moyens techniques impressionnants ont été mobilisés, il est dirigé par une grande jeune femme de 30 ans, Helene Bertha Riefenstahl, dite Leni.
En voyant le visage d'Hitler, rayonnant d'aise, aimantant la caméra qui tourne autour de lui grâce à un mouvement sur rails des plus précis, on ne peut s'empêcher de penser à une phrase que Jean-Luc Godard lancera vingt-cinq ans plus tard, bouleversé par Nuit et Brouillard et Hiroshima, mon amour d'Alain Resnais : «Le travelling est affaire de morale.» Jacques Rivette dira à peu près la même chose, quelques mois plus tard, en sortant dégoûté d'un film de Pontecorvo, Kapo, qui prenait soin de filmer «le mieux possible» la mort d'une femme dans un camp de concentration : «Voyez dans ce film le plan où Emmanuelle Riva se suicide en se jetant sur les barbelés électrifiés ; l'homme qui décide, à ce moment, de faire un travelling-avant pour recadrer le