Le 3 janvier 1991, Hervée de Lafond et Jacques Livchine prennent leurs fonctions à 11 heures, accueillis en fanfare à la gare de Montbéliard. «Inquiétude, estomac bloqué. A-t-on eu raison ?», note Livchine dans le carnet où il griffonne les jours de joie, de doute, de déprime, de révolte (1). En tandem, sa complice de toujours, avec laquelle il a fondé le Théâtre de l'unité : ils se retrouvent pour la première fois au pays des usines Peugeot à la tête d'une institution, une «scène nationale» qu'ils ont baptisée «Centre d'art et de plaisanterie». Ce n'est pas seulement un gag, c'est un pari : «Une de nos craintes, c'est de ressembler à ces notables de la culture que nous connaissons», ces gens qui, «à peine nommés, se comportent comme des apparatchiks» et chez qui «langue de bois, autosatisfaction, suffisance» vont de pair, note Livchine le 20 juin 1991.
Ce livre c'est cela : l'histoire d'un groupe de résistants racontée par l'un de ses chefs. Avec ce qui arrive à tous les groupes : jalousie, fatigue, traîtrise, difficulté à se supporter, poids lancinant des quotidiens problèmes de cafetières en panne et d'heures de travail accumulées, mise en cause des chefs. Mais aussi sabotages du tonnerre des idées reçues, soirées iconoclastes mémorables, fêtes d'enfer, coups fumants, attaques théâtrales surprises, reconnaissances diverses, popularité grandissante. L'aventure durera neuf ans. Chaque année, l'équipe dirigeante démissionnait et était immédiatement candidate à sa succession,