«Au ras de la poussière et du malheur» : c'est ainsi que Jean Magnan voulait évoquer la guerre d'Algérie dans sa pièce Algérie dont il acheva la première partie juste avant son assassinat en 1983. Né à Alger en 1939, Magnan parlait aussi de «raconter l'histoire fragmentairement parce qu'il ne s'agit pas pour nous de raconter l'Histoire, mais de l'Histoire qui fut aussi la nôtre, de l'Histoire telle que nous nous la rappelons sensiblement».
Drôle de texte, loin de la démesure des Paravents de Genet et porté pourtant par une haute ambition. Texte fragile aussi (dont Robert Gironès, complice historique de Magnan, donna une mémorable version en 1991), en raison de sa structure éclatée, de ses allers-retours entre l'intime et le politique, de son caractère loufoque (avec des personnages dont les noms Tartarin de Tarascon ou Alkazselzer constituent un épatant résumé de la colonisation), mais aussi, plus profondément, d'une certaine pudeur de l'auteur. On est face au texte comme face à quelqu'un dont on pressent qu'il a des choses essentielles à dire, mais qu'il risque de se braquer si on le brusque.
C'est un peu ce qui se passe dans le spectacle de Robert Cantarella. Sa mise en scène d'Algérie 54-62, qui ne manque par ailleurs ni de talent ni d'intelligence, semble amplifier ce qui constitue parfois son point faible : une certaine façon de se croire plus fort que l'auteur, les acteurs et les spectateurs réunis.
Son spectacle braque à la fois le texte et une bonne partie du public