Rome, le 3 mai 1962, 9 heures du matin. Pier Paolo Pasolini va tourner dans quelques heures les premiers plans de son deuxième film, Mamma Roma. Sur un magnétophone, dans sa cham bre, il tient une sorte de journal enregistré, aussi intime qu'il est prononcé à voix haute. «Je me souviens que l'année dernière, quand je devais tourner Accatone, et qu'il semblait que je ne puisse plus le faire, j'ai passé des nuits sans sommeil. Les seules de ma vie, car d'ordinaire je dors profondément, neuf heures de suite, en faisant des rêves très beaux. Au contraire, pendant cette période, j'ai fait des rêves terribles. Je rêvais du soleil en pleine nuit (en ayant conscience d'être en pleine nuit), un soleil radieux et superbe, d'autant plus macabre qu'il était radieux.»
Le Soleil. Comme Accatone, Mamma Roma sera un film inondé de cette lumière archaïque, rurale, religieuse, qui éclaire comme un intouchable fantasme le sous-prolétariat que le poète met en scène. Soleil qui regarde les corps de Franco Citti ou de la Magnani. La Rome que filme Pasolini est le négatif de celle de la Dolce Vita. Elle ressemble au Caire, à Tunis, à Alger. C'est la Rome des faubourgs, toute cette partie logée derrière la gare centrale, ces bâtiments dont il aimait à rappeler qu'ils avaient été construits par les fascistes «comme des camps de concentration pour pauvres». Un monde laissé en l'état de friche préindustrielle, qui servait déjà de toile de fond à ses premiers romans. Un quartier qu'il finira par baptise