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Libération
Critique

La foire aux solitudes

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«Cruel et tendre»: la photo en art majeur à la Tate Modern de Londres.
publié le 16 août 2003 à 0h37

Londres de notre correspondant

Des matadors épuisés, ruisselants de sueur, le visage et la veste mordorée couverts du sang de la bête qu'ils viennent d'abattre, arborent le sourire ou l'air soulagé de la victoire. Placées en vis-à-vis, des jeunes mères, fières et vulnérables, leur nouveau-né niché dans des bras encore malhabiles, montrent leurs corps nus et meurtris. La photographe hollandaise Rineke Dijkstra saisit l'âpreté de l'après. Qu'ils aient donné la mort ou la vie, ses personnages apparaissent dans toute leur solitude et leur fragilité. Leurs visages sont comme des plaques sensibles où s'imprime l'intensité du combat qu'ils ont mené.

Empathie. Cruel et tendre : ainsi s'intitule la première exposition majeure de la Tate Modern consacrée à la photographie. Une for mule employée par le critique Lincoln Kirstein, à propos des images de la Grande Dépression amassées par une autre figure clé de cette immense rétrospective, l'Américain Walker Evans. Les 24 artistes réunis à Londres (dont August Sander, Thomas Struth, Robert Adams, Diane Arbus...) ont ­ presque ­ tous en commun de poser sur le monde un regard à la fois distancié, dépassionné et plein d'empathie. Ils respectent un «style documentaire», expression forgée par Walker Evans qui permet de dépasser l'opposition classique entre art et document. Leurs travaux présentent, selon la commissaire d'exposition Emma Dexter, un équilibre instable entre «détachement et engagement».

Ce sont aussi des tireurs en série. Des collec