Il était d'un autre âge, né en 1910 dans une des huttes en torchis qui servait de légation britannique à Addis-Abeba jusqu'à ce que son père, ministre plénipotentiaire en Abyssinie, en fasse construire une en pierre, plus moderne. Mais même dans les années 80, quand il vivait dans le nord du Kenya sur le lac Turkana, un de ses jeunes compagnons indigènes, Lawri Leboyare, pouvait encore plaisanter devant lui : «L'âge de pierre, c'est toi. Nous à côté, on est moderne.» Wilfred Thesiger, le dernier des «originaux» d'un empire qui n'en fabriquait plus depuis longtemps, disait vouloir finir sa vie parmi ses amis turkanas, son cadavre exposé au soleil, laissé à la discrétion des chacals. Tout chez lui était démesuré : sa taille, sa bouche, son nez, et surtout ses oreilles, qui lui avaient valu un surnom chez les Turkanas voulant dire «vieil éléphant qui marche à l'écart de tous». Mais, au milieu des années 90, ses deux compagnons qu'il considérait comme ses fils étant morts, et lui-même souffrant de la maladie de Parkinson, il était rentré en Angleterre, où il a fini ses jours dans une maison de repos dans le Surrey. C'est aussi ça l'histoire de sa vie, ce désir inabouti d'en finir en grand style d'un monde qu'il n'aimait pas. Il s'est éteint dimanche.
Inconfort. Né dans un pays presque médiéval, frappé à jamais (et à 6 ans) par le spectacle homérique du défilé triomphal du ras Tafari après la défaite de l'empereur Lidj Yasou, Thesiger était le genre de jeune homme qui, à Oxford, d