Bangkok est l'un des rares lieux où le détective Pepe Car valho est blessé : c'est en 1983, dans les Oiseaux de Bangkok. Il est venu rechercher une disparue qu'il ne retrouvera pas. Comme toujours, il fréquente les lieux marginaux ; mais il le fait cette fois dans le grand Disneyland exotique et sexuel, le parc à thème des pénétrations lointaines. Vingt ans plus tard, son créateur, l'Espagnol Manuel Vazquez Montalban, est mort d'un infarctus dans l'aéroport de la capitale thaïlandaise, vendredi vers minuit. Il revenait d'une tournée de conférences aux antipodes. Il s'est écroulé dans l'un des centres de transit de cette mondialisation déchaînée qu'il observait avec l'acuité et la sévérité gourmande d'un vieux marxiste. Il avait 64 ans.
Gargantuesque. Vazquez Montalban avait écrit autant de livres qu'un romancier populaire, engagé et bon vivant du XIXe siècle, que d'une certaine façon il était : un ogre dialectique et sentimental, un esprit curieux, rusé, proliférant et sympathique enfermé dans un corps de pot à tabac.
Sa créature principale, Pepe Carvalho, rythmait ses enquêtes de plus en plus désenchantées avec des recettes et des repas précis et copieux. Il pratiquait la littérature à l'estomac dans un monde devenu relativement indigeste. La cuisine n'était pas qu'un plaisir : elle était un permanent rappel à l'enfance, au plaisir, à la joie, au peuple espagnol, dans un univers voué au naufrage des idées et des rêves. Comme un temps vif dans le temps de plus en plus mort de