On kiffe beaucoup, ces temps-ci, en France. Dans les cités, chez les loftés. Dans les F4 et les triplex, allée Paul-Eluard et rue Montorgueil. Dans les journaux, les publicités, les films et les livres. Chez les z'y-va et les j'y-suis, dans les cages et les salons de la cave au grenier. Et, bien sûr, avant tout dans la télé. La croupe d'un petit mot, chevauchée par la galopante hypocrisie générale, révèle les rhumatismes d'une société au racisme miroton. Avec un seul «f», kif signifie «comme» en Algérie. Avec deux «f» ou écrit kef, ou kief, il signale le bien-être, et par extension, le haschich : l'herbe qui donne la béatitude. Les dictionnaires l'importent avec Fromentin, en 1857. La colonisation a commencé. Voyageurs, colons et militaires se l'approprient et le rapportent dans l'Hexagone comme un palmier, un masque nègre ou un kriss. Avec un «f», voilà l'expression : «C'est kif-kif bourricot». On l'entendait beaucoup naguère. Des Français la posent sur le mur, au-dessus des porcelaines, avec une joie condescendante : pourquoi refuser l'exotisme homéopathique des bougnoules ? Le plaisir d'une petite exposition coloniale à domicile ? Le kiff, lui, envahit la littérature pour ce qu'il est : un paradis artificiel saisi dans son milieu d'origine. Gide écrit par exemple : «Quelques vieux arabes étaient là, accroupis sur des nattes et fumant le kief...» Mais les mots ont leur vie, leurs expériences, leurs voyages, leur fertile bâtardise. Ils changent de papiers, de sexe, de visag
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