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Libération
Critique

Richard Flanagan. Spectres de Tasmanie

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publié le 3 septembre 2004 à 1h59

Une nuit d'hiver, des pas dans le sol que la neige a vite fait de recouvrir, mais qu'elle ne peut tout à fait effacer. C'est que même cette neige d'oubli fond au feu du désir d'amour et jamais elle ne pourra masquer le trou, ce manque comme une béance dans la vie de Sonja Buloh. C'était en 1954, en Tasmanie, aux confins de la terre, Maria, la mère de Sonja, quitte un mari violent, abandonne une enfant qui dort. Au lendemain de la guerre, on avait laissé derrière soi les ruines du vieux monde, on avait immigré en Australie avec sa grande île au large, véritable Ruhr océanienne. Italiens, Grecs, gens d'Europe centrale, gens des Balkans ­ comme Bojan, le père de Sonja, un Slovène ­, tous étaient venus pour le travail et n'y avaient souvent trouvé que la solitude et le rejet. Après divers placements dans des familles, Sonja retourne auprès d'un père alcoolique qui la bat et pourtant l'aime, voilà le plus étrange. Déroutant comme ce paradoxe primordial : «mama» qui est partie mais dont elle entend encore la douce voix la bercer. Richard Flanagan a l'art d'envoûter par une narration où le temps de la douleur ignore celle de l'horloge. Dans A contre-courant, un guide de rivière se noyait en revoyant tout en flash-back, ici on oscille entre les années 50, enfance et jeunesse de l'héroïne, et l'époque contemporaine, où elle rentre en Tasmanie après vingt-deux ans d'absence. Une circularité qui restitue l'angoisse de l'atermoiement : Sonja est confrontée à la décision de garder ou pas