D'un écrivain unanimement respecté et à qui seul le grand public boude son soutien, on dit généralement, par une tautologie rétrospective, qu'il est «difficile». Il y a pourtant un aspect aisé à l'oeuvre couronnée par divers prix (Nadal, de l'Union latine des littératures romaniques) de Juan José Saer, né en 1937 en Argentine à Santa Fe, et mort samedi à 67 ans à Paris (il était installé en France depuis 1968, enseignant à l'université de Rennes) tant ses romans, touchant à tous les genres, fourmillent d'aventures et de personnages pittoresques. On peut penser que ce qui le tint à l'écart du succès commercial est paradoxalement son humour.
La solution pose problème. Dans Cicatrices, son premier roman de 1969 (traduit au Seuil), le journaliste Carlos Tomatis, un de ses personnages récurrents de la province réelle de Santa Fe, transfigurée en lieu fictif, écrit ainsi : «Je crois qu'aucune expérience ne vient avec la maturité, a-t-il dit. Ou devrais-je dire qu'aucune maturité ne vient avec l'expérience ?» Toute l'oeuvre consiste à résoudre des problèmes qui ne se posent jamais ainsi et ne trouvent donc jamais de solutions aussi simples qu'on le souhaiterait. Juan José Saer employa les termes d'«anthropologie spéculative» pour exprimer la boîte de Pandore des interprétations qu'est tout roman, et spécialement les siens.
L'Enquête, qui date de 1994 (disponible en Points-Seuil), est celui qui a mené le plus loin cette volonté. C'est un roman policier dont le sujet est l'hécatombe