Envoyée spéciale à Bruxelles
La dernière fois, c'était un soir de novembre, sur les terres ouvrières de Cleveland. Il pressait les gens de s'inscrire, de voter, de faire barrage à Bush. Mouillait sa chemise comme toujours. Offrait comme jamais le manche de sa guitare à la bataille électorale.
Bruxelles, le 30 mai. On le retrouve, seul sur scène, dans le cadre d'une tournée mondiale qui visite l'Europe. Il y a un rideau de velours rouge. Deux lustres. Un orgue, un piano, sa guitare, l'harmonica. Bruce Springsteen va de l'un à l'autre, se démultiplie. Offre à voir ce qu'il est, homme taillé dans le rêve américain, écorché par la désillusion, gorgé des affluents du rock'n roll, habité de souvenirs. Il explique en français puis en flamand qu'il a besoin de silence. Homme-orchestre d'un théâtre d'ombres.
Ondes indiennes. D'abord, on ne reconnaît pas le deuxième morceau. Dans la main droite, l'harmonica. Dans la gauche, un micro, telle une capsule qui fait voyager sa voix loin vers le blues. Sa botte tape et scande fort le rythme. La voix, le souffle, le corps, tout ondule. Springsteen diffuse à lui seul ondes indiennes, Tom Waits et complainte du Mississippi. Frissonnante version de Reason to Believe, touche optimiste du sombre Nebraska, de 1982. Puis il s'installe au piano, y plaque ses accords de guitariste, avec le sourire d'un trébuchant.
Le revoilà, gosse fidèle aux bruits de l'enfance, qui écoutait depuis sa chambre le cliquetis des accessoires de beauté dans la salle de bains