Un écrivain à succès est un écrivain à risques. Son talent peut tourner. Souvent, la chose arrive quand il commence à se prendre pour la belle image qu'on a donnée de lui. Ce n'est plus tout à fait l'auteur qui semble écrire, mais d'autres : son personnage, son directeur de conscience, son représentant de commerce. Le processus menace en particulier l'écrivain de surface humaniste, qui a tant de lecteurs à ne pas désespérer ; Philippe Claudel en est un. Son précédent roman, les Ames grises, a eu un grand succès. Il contait les destins cassés par la Première Guerre mondiale dans une petite ville du Nord-Est proche du front. La tristesse, la douleur, le portrait des notables et de la dureté de ce monde d'avant-hier, le sens du récit et de la construction, tout s'équilibrait avec une compassion précise. L'écrivain de surface humaniste vit dangereusement. Il est là pour décrire les hommes tels qu'ils sont, et les aimer comme malgré eux. Un peu trop d'amour visible, un peu trop de mou dans le prévisible, et l'on glisse de l'humanisme dans la niaiserie. Les Ames grises l'évitait, à l'aide d'un style effleurant le kitsch sans jamais y tomber. Le kitsch est la répétition dégradée des apparences d'un style ancien. Il appartient à la vie, à ses faiblesses. Sans lui, tout serait si dur : nous en avons besoin pour nous approprier ce qui nous dépasse. Le nouveau roman de Claudel, la Petite Fille de monsieur Linh, est un conte de 160 pages. Un vieil homme, sans doute vietnamien, fuit la g
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