Les gars de la voirie arrivent un matin dans cette rue du centre-ville. Ils déploient leurs barrières et plantent leurs petits cabanons. Puis ils fixent sur le trottoir ces panneaux parisiens de plus en plus ordinaires, interdiction de stationner, un tous les cinquante mètres. Maintenant, ils occupent un bon tiers de la rue pour un temps indéterminé. Vu ce qu'ils font, ils pourraient ne l'occuper que par tranches beaucoup moins longues. Mais il s'agit de gêner pour dresser habitants et commerçants. Il faut leur apprendre à vivre sans voiture dans une rue semée d'arbres aux trottoirs bientôt élargis. Il faut le leur apprendre brutalement, comme à certains enfants. Il faut les rééduquer. Les voitures survivent comme elles peuvent. C'est une rue pleine de commerces ; elles y apportent les produits et la vie. Elles s'enkystent dans les nombreux vides où les gars de la voirie ne font rien encore. Elles y reposent comme de honteuses concubines derrière les paravents de tôle verte qui, peu à peu, les encerclent. Elles résistent. Il y en a de vieilles, de jeunes. On voit des françaises, des étrangères, des toutes propres et d'autres pleines de cicatrices. On dirait qu'elles rentrent leurs vitres dans leurs épaules d'acier. Elles portent un peu chagrin dû aux objets chéris et abandonnés. A une certaine heure, le fourgon de la fourrière vient les rafler, comme, un peu plus loin et un peu plus tôt, la police a raflé les anciennes prostituées. Ces opérations s'effectuent sous les regard
Le centre maigrit
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par Philippe Lançon
publié le 4 novembre 2005 à 4h25
(mis à jour le 4 novembre 2005 à 4h25)
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