Le mardi 8 novembre au soir, l'ENA fête à Paris ses 60 ans. Pour l'occasion, le Centre Georges-Pompidou lui ouvre ses portes exclusivement. Les premiers invités arrivent vers 18 heures. Très vite, le hall se remplit d'austères et élégants vieillards ou demi-vieillards. Les énarques plus jeunes sont au travail, en province, à l'étranger ; ils arriveront plus tard ou ne viendront pas ; la nostalgie appartient à ceux qui agirent. Les présents se voient, se flairent, évoquent des souvenirs en souriant. Ils parlent bien, détachent leurs syllabes, portent l'écho soyeux des cadences du monde ancien. Leurs phrases à colombage sont charpentées de classicisme : on les visite avec un plaisir sentimental et touristique. Ces hommes se ressemblent plus ou moins : beaucoup de calvities et de lunettes coiffant des costumes sombres. Ils forment l'élite administrative du cher et vieux pays. Leur rassemblement évoque cette soirée dans laquelle, à la fin du Temps retrouvé, Proust décrit les héros vieillis de sa jeunesse. Soudain, les habitués du salon des Guermantes aux silhouettes irréversiblement fanées, prêtes à s'émietter dans la boîte à parfum d'une jeune fille en pleurs, semblent participer au dernier bal, celui des vampires. Ce soir, les vampires sont fatigués, courtois et un peu dépassés. L'un présente l'autre à un troisième en disant : «J'ai l'honneur de vous présenter M. X qui, lorsqu'il était conseiller à la Cour des comptes, eut la délicatesse de ne rien trouver à redire à ceux de l
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