Doris Lessing, écrivaine, auteure du célèbre «Carnet d’or», reste à 86 ans une contestataire. Icône du Women’s Lib, elle parle des rapports hommes-femmes, reproche aux féministes d’avoir échoué et aux milieux intellectuels d’avoir une vision manichéenne du monde.
Votre roman, le Carnet d'or (prix Médicis 1976), a été, et reste encore, le livre culte de la libération des femmes dans le monde entier, mais vous, vous dénoncez les féministes...
Cela m'a toujours irrité que le Carnet d'or devienne la «Bible du Women's Lib» parce que je n'avais pas voulu faire un essai féministe mais écrire sur les vies de femmes. Les gens pensent toujours que c'était un manifeste politique. Absolument pas. Je me suis retrouvée avec des monceaux de lettres de lectrices qui ne parlaient que de politique, et des lettres d'hommes qui m'expliquaient que cela avait été une révélation pour eux. Je viens encore de recevoir une lettre d'un Brésilien qui a donné le livre à sa femme pour qu'elle comprenne qu'elle peut exister en dehors de la maison et des enfants. Il faut rappeler tout de même qu'en France aucun éditeur n'a voulu, pendant longtemps, publier le Carnet d'or parce qu'on le trouvait trop extrême.
Aujourd'hui, je peux dire que les féministes ont échoué. C'est vrai, nous avons plus ou moins une égalité entre les sexes en matière de salaire et de carrière. Des femmes formidables et intelligentes sont arrivées à des postes clés. Il y a eu de vrais progrès pour les femmes de certaines classes sociales, dans les pays occidentaux... D'ailleurs, les jeunes filles autour de moi ne réalisent pas que cela fait seulement deux générations qu'on peut contrôler la vie, qu'elles n'ont plus