Dans cette librairie populaire et bon marché du nord de Paris, les collégiens viennent de partout, soit pour acheter les oeuvres au programme, soit pour les revendre. Il leur arrive de s'interpeller entre les rayons, mais, en général, le silence des livres paraît, sinon les intimider, du moins les recouvrir un peu, les étouffer peut-être, comme si la présence de tant de morts, même inutiles, même pesants, même scolaires, les obligeait à très légèrement en rabattre. Rien n'est plus sensible que de se promener dans les couloirs trop étroits entre ces adolescents et ces pages. Il y flotte physiquement des espoirs, des menaces, des malentendus, des tensions : toutes les ambiguïtés de l'éducation de masse. Très peu de choses suffisent à faire basculer les protagonistes dans un dialogue, dans un conflit, dans l'enthousiasme ou les complexes : chaque jour est un théâtre ouvert. L'autre soir, deux collégiennes cherchent Un coeur simple de Flaubert. Elles ne le trouvent pas, vont et viennent dans les rayons telles des rosières mi-brutales mi-mutines, n'osent pas s'approcher du vendeur. Il classe des colonnes de livres et fait semblant de ne pas les voir. Un homme finit par leur dire : «Un coeur simple, c'est dans Trois contes. C'est comme ça que s'appelle le livre.» Trois contes ? demande l'une. «Oui. C'est le premier de trois contes. Flaubert les a publiés ensemble.» Elles restent indécises. «Un coeur simple, poursuit l'homme, c'est l'histoire d'une servante qui vit dans la solitude
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