Rien n'avait prédestiné Derek Bailey à embrasser le jazz libertaire des années 60. A la veille de se distinguer comme un improvisateur «avant-gardiste», il cachetonnait encore comme requin de studio et accompagnateur de variétés. Fils d'un barbier de Sheffield, Bailey avait eu pour professeur de musique un oncle lui-même guitariste, un peu d'enseignement scolaire, des livres de théorie musicale et les premières cires de Charlie Christian. Il improvisait donc déjà be-bop et connaissait l'harmonie au moment où il décida de renoncer aux formules et acquis pour traquer l'instant musical absolu, dans l'inédit et le déroutant, transformant en atout le fait de n'être ni frais émoulu du conservatoire, ni américain ni noir.
Contre-culture. Son premier laboratoire s'appelle Joseph Holbrooke : un trio jazz comptant un percussionniste classique reconverti au ternaire et un bassiste et futur compositeur nommé Gavin Bryars. Dès 1963, Bailey a l'intuition d'un style expressif tirant parti des stridences mystiques de Coltrane, des bruits préparés d'un John Cage, des processus sonores et conceptuels de Stockhausen et de l'avant-garde sérielle européenne. Ce style, il reste à l'éprouver en situation. Ce sera au Little Theatre Club, où des séances d'improvisation permettent à des débutants comme Evan Parker, Trevor Watts ou Paul Rutherford de se frotter aux maîtres Dave Holland ou Kenny Wheeler, à des solistes de musique contemporaine, ou à des musiciens électroniques.
Dix ans plus tard, Bailey