Cauchemar rose de la modernité : vivre en un monde que résument le sourire et l'oeil de Tony Blair. Dans ce monde, on est souple, efficace, polyglotte, jeune à tout âge et fauve à toute heure. Par-dessus tout, on est compétent. On fait de bons mots euphémiques. Notre ridicule nous tue ; celui des autres nous ressuscite. On masque de non-sens nos peines et nos joies. L'indifférence a un beau nom : respect des différences. Une distance armée est la règle. C'est le pire des régimes communautaires, à l'exception de tous les autres. Notre misère y est nappée d'un délicat quant-à-soi. On se teint de vacances à rosir sous les tropiques, on fleurit dans le sud-ouest de la France. La lutte sociale disparaît. Les faits sont l'unique horizon, précis et plat. On rêve à sec et en silence. On va voir avec plaisir les films en costume taillés dans les draps de Jane Austen et de Thomas Hardy. On prend le thé avec leurs fantômes gourmés. On sait raconter des histoires aussi bien que cet homme qui s'en racontait peu, Somerset Maugham. On a le goût sûr, excentrique. On aime la pop et on prend l'Eurostar deux fois par semaine. De retour à Paris, on ne prend pas le métro parce qu'on est riche. Dans la file aux taxis, on hume une dernière fois l'essence du rêve londonien en regardant de fines Anglo-Indiennes vêtues de chic. Leurs profils de gazelles high-tech et leurs regards de biais font de nous des lions devenus vieux. On vit en Gold, on rêve d'argent. On écrit des articles, des éditoriaux, de
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