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Libération
Critique

Femmes errantes

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publié le 10 mars 2006 à 20h35

Elizabeth retourne chez son père, vers la forêt et le lac de son enfance. Elle vient de Londres où s'est marié son frère. Elle fait un point, à près de 50 ans, se souvient de Trotta, ce grand amour, «le plus insaisissable». Elle croyait alors à l'appel du large, ce fut d'abord Vienne, puis le monde entier, loin de son Autriche natale. Trotta le photoreporter lui révéla sa vérité : «Il lui avait fait prendre conscience de beaucoup de choses, à cause de son origine, et parce que lui, un homme vraiment exilé et perdu, la transforma, elle, une aventurière qui dans la vie attendait Dieu sait quoi du monde, et en fit une exilée, parce que, après sa mort seulement, il l'entraîna lentement dans le déclin, l'éloigna des miracles et lui fit reconnaître l'éloignement de l'exil comme une prédestination.» L'héroïne de la nouvelle-titre ressemble aux autres personnages du recueil. Une mère à la fois vénérée et abandonnée, une myope qui préfère le réel sans ses lunettes, une interprète qui déchiffre mal la langue de l'amour... Les femmes, chez Ingeborg Bachmann, recherchent un absolu que contredit sans cesse la pesanteur du quotidien. La quête devient errance, car l'asymétrie de l'idéal et de la vie annihile tout projet de direction. Ces histoires furent publiées avant sa mort tragique à Rome en 1973. Sans doute assommée par les calmants, elle laisse une cigarette mal éteinte embraser sa chambre.

Paraît en même temps chez Actes Sud Lettres à Felician (traduction et longue préface de Pierre-