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Libération
Critique

Veillée de larmes.

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publié le 29 mars 2006 à 20h45

Trois femmes en veillent une quatrième. Assises sur des chaises, elles ne bougent guère plus que la gisante. Dans la pénombre, seuls leurs visages sont nimbés de lumière ; derrière, une fenêtre est ouverte sur la nuit. Clair-obscur, éclairages obliques, cela pourrait être un tableau de Georges de La Tour. Au luminisme de l'image correspond le symbolisme d'un texte que Fernando Pessoa composa en deux jours, les 11 et 12 octobre 1913. Il avait 25 ans et considéra toute sa vie le Marin, «drame statique en un tableau», comme l'une de ses oeuvres les plus achevées, en accord avec sa conception d'un théâtre «où l'intrigue réside non pas dans l'action ni dans la progression et les conséquences de l'action, mais plus largement dans la révélation des âmes».

Contre les tenants du naturalisme, le poète portugais avait choisi son camp, celui de Maeterlinck à qui la structure et le style même du Marin font irrésistiblement penser. Maeterlinck est décidément l'âme tutélaire du Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis. Claude Régy y livra il y a quelques années une inoubliable Mort de Tintagiles et Alain Ollivier, directeur des lieux, y a présenté en 2004 un Pelléas et Mélisande tout en rigueur douce.

Le Marin est de la même eau. Les veilleuses au chevet de leur soeur morte sont les gardiennes d'un silence que les voix intérieures ne troublent pas. Dans la chambre sans horloge, seule la nuit qui pâlit imperceptiblement donne la mesure d'un temps presque suspendu, où le passé affleure en visions