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Libération

Bovarysmes

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publié le 31 mars 2006 à 20h47

Un livre-enquête signale que 2,7 % des femmes et 1,9 % des hommes de 30 à 34 ans sont «sexuellement inactifs» sur une période de douze mois, et que ce chiffre augmente un peu pour les hommes dans la période allant de 35 à 39 ans (1). L'expression même, «sexuellement inactif», a une délicatesse de Célestine bureaucratique. Est-on jamais «sexuellement inactif», même quand on ne fait rien ? On y pense. On en rêve. On s'inquiète. On fantasme. On vit des vies avec les corps qui nous manquent. On ne s'éteint probablement que dans la satisfaction ou dans l'oubli. Le sexe passe par tout ce qu'on lui donne, mais aussi par tout ce qu'on lui refuse. Pour un sociologue, Sade est sans doute «sexuellement inactif» ; pour un lecteur, il ne l'est guère. Et son amour a le puissant tanin des frustrations appliquées. Bien entendu, les «sexuellement inactifs» parlent beaucoup de sentiments : on dirait qu'ils ne couchent plus parce qu'ils voudraient aimer. La morale des sentiments est ici, au sens propre (ou sale, comme on voudra), un cache-sexe. Souvent, ce n'est parce qu'on aime que l'on couche, mais parce qu'on couche que l'on finit par aimer. Dans l'enquête, ces grands sentimentaux sont baptisés les «no sex», en écho probable au film égocentrique de Sophie Calle, No sex last night. L'artiste contait un voyage sentimental aux Etats-Unis qui, chaque jour, dans un motel différent, se terminait par une nuit vierge. La laideur des motels américains est si nue, si parfaite, si couverte de moquette