Peter Handke est sans doute allé à Barcelone. Tous les écrivains finissent par s'y rendre. Tout le monde y va. Tout le monde est écrivain, touriste, voyageur, promeneur, et Barcelone est l'un des lieux où ça se voit le mieux. Les hôtels sont pleins. Les restaurants sont pleins. Les terrasses sont pleines. Les rues sont pleines. Les prix sont pleins. La misère aussi est pleine : immigrés ou (et) sans-abri, gamins noyés nuit et jour dans l'alcool et la crasse comme une cerise dans l'eau de vie. Tout est si plein qu'on croit marcher parmi les pigeons de la place Saint-Marc, des milliers de pigeons humains joyeux et lents qu'on voudrait voir s'envoler d'un coup de pied. Handke a dû marcher dans ce plein, lui aussi. On l'imagine facilement, lui qui a si bien écrit la dépression, le déplacement, le velouté vide et mouvant de la solitude et de la conscience en guerre. Barcelone est une étrange contrée, un décor que l'excès de foule transforme en théâtre de rue. On peut s'y trouver comme Gregor Keuschnig dans l'Heure de la sensation vraie (1974). Il croise un couple à Paris, tandis qu'une guerre débute à Chypre : «Voir la femme mordre dans le bout d'une baguette de pain, comme s'il ne pouvait plus y avoir cette guerre, l'apaisa.» En 1992, il y avait une guerre en Yougoslavie, et Barcelone, ville des Jeux olympiques, enfilait cette robe de reine touristique qu'elle n'a plus quittée. Voilà un rapport objectif entre Handke et Barcelone : les guerres de Yougoslavie et la gêne européenne
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