C'était il y a trente-trois ans, autrement dit un siècle. Comment imaginer ce qu'a pu représenter le Chilien Pablo Neruda pour quelques générations de lecteurs ? Des histoires d'amour et de sexe, une statue plâtrée d'idéologie, l'orgueil d'un démiurge, un naturel de marbre, des saisons diplomatiques, quelques mystères sous les poèmes et une mort symbolique : un poète en pop-star au temps des pop-stars, voyez-vous ça. Idole folklorique aussi fameuse que... qui, au fait ? Zidane, peut-être. On écrit aussi bien avec les pieds. Neruda fit rêver avec les mains : ses mots ont pu donner du sens aux coeurs dont ils aiguisaient la pointe légèrement, tristement humide. A l'époque, entre autres, il y avait Pelé et Neruda. Les fans du second avaient souvent le même âge que ceux du premier. Beaucoup étaient du peuple. Neruda était ce poète communiste dont la tournée aux Etats-Unis, après avoir reçu le prix Nobel, fut un événement politique mais qui déclarait : «J'y vais pour renégocier ma dette avec Walt Whitman.» Les écrivains ont cessé d'être des héros le jour où ils ont laissé croire que la littérature n'était pas la seule aventure possible. C'est emphatique ? Oui, et Neruda pouvait l'être. Depuis, l'emphase s'est déplacée vers des terrains qui la trahissent moins. Les mots sont fatigués. Leur teneur en héroïne a baissé. Sur Neruda, Antonio Skarmeta publie un petit livre (1), en vérité une longue préface à une brève anthologie personnelle. Il raconte comment Neruda a détermin
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