Robert Frank est assis dans un coin de café, dans ce Saint-Germain-des-Prés que les Américains de sa génération idolâtraient. Il a sa célèbre casquette de base-ball vissée sur la tête, comme un sportif. Quand il l'enlève, ses cheveux d'épagneul assoupi lui donnent une auréole de vieux sage pour qui ces choses-là, les cheveux en bataille impossibles à coiffer, n'ont plus d'importance. Il parle moins qu'il y a trois ans. Il y a trois ans, il parlait moins qu'il y a sept ans. Maladie ? Fatigue ? Jet lag ? Robert Frank répond qu'il «n'a plus la patience d'attendre la fin de la phrase». Hier, au centre Pompidou, qui programme l'intégrale de ses films et vidéos, il a pourtant murmuré quelques mots. «Oh yeah ! Mais je suis vite parti, je ne peux pas rester pour voir mon cinéma.»
Robert Frank est un personnage mythique, un dieu vivant pour beaucoup de photographes. Il a connu Walker Evans, dont il fut l'assistant, Jack Kerouac et les poètes beatniks, les grandes heures du Harper's Bazaar de Brodovitch. Dire que sa célébrité lui pèse est un euphémisme. Il est devenu cinéaste pour oublier (et faire oublier) qu'il était photographe. C'est raté. Ses fans et ses groupies ne pourront jamais croire que seules les images qui bougent, les films, l'intéressent à présent. Il ne fait une ou deux photographies, du bout des doigts, que pour gagner sa vie. En 1990, il s'est débarrassé du poids de ses négatifs en les léguant à la National Gallery of Art de Washin